Sylvia Plath (1932-1963),  la vie comme un mauvais rêve

“Je dois cultiver cette bizarrerie et cette intériorité simplement en demeurant en moi-même, et en étant fidèle à mes farfadets et démons personnels”. Sylvia Plath dans Carnets intimes (1997)

Source : Sylvia Plath (1932-1963),  la vie comme un mauvais rêve

 

Je connais le fond, dit-elle. Je le connais par le pivot de ma grande racine :
C’est ce qui te fait peur.
Moi je n’en ai pas peur : je suis allée là-bas.

Est-ce l’océan que tu entends en moi,
Ses griefs, ses insatisfactions ?
Ou la voix du néant qui un jour t’a rendue folle ?

L’amour est une ombre.
Tes pleurs, tes mensonges ne sauraient le retenir
Écoute : ce sont ses sabots : il s’est enfui comme un cheval.

Toute la nuit je galoperai avec la même fougue,
Jusqu’à ce que ta tête soit une pierre, ton oreiller un champ de course
Où l’écho viendra retentir.

À moins que je ne t’apporte le bruit sourd d’un poison ?
Voici la pluie, et ce calme énorme est
Son fruit, couleur de fer-blanc, comme l’arsenic.

J’ai subi les atrocités des couchers de soleil,
Me suis desséchée jusqu’à la racine
Et mes fibres brûlent, et je lève une main de barbelés rouges.

J’explose et mes éclats volent comme des massues.
Un vent d’une telle violence
Ne tergiverse pas : il faut que je hurle.

La lune non plus n’a pas de pitié : elle voudrait m’attirer
À elle, stérile et cruelle.
Sa splendeur me foudroie. Ou peut-être est-ce moi qui l’ai attrapée.

Je la laisse partir. Je la laisse partir
Plate et diminuée comme après une cure radicale.
Combien tes mauvais rêves me possèdent, me ravissent.

Je suis cette demeure hantée par un cri.
La nuit, ça claque des ailes
Et part, toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer.

Je suis terrorisée par cette chose obscure
Qui sommeille en moi ;
Tout le jour je devine son manège, je sens sa douceur maligne.

Des nuages passent et se volatilisent.
Sont-ils les visages de l’amour, ces disparus livides ?
Est-ce pourquoi j’ai le coeur bouleversé ?

C’est là toute l’étendue de ma connaissance.
Qu’est-ce donc maintenant que ce visage
Sanguinaire dans son étranglement de branches ? –

Son sifflement de serpents acides
Pétrifie la volonté. C’est la faille isolée, l’erreur lente
Qui tue, qui tue, qui tue.

Extrait de:

2009, Ariel (Gallimard)

 


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